La poésie de la lumière
Quel est le sens de votre travail ?
Je suis très sensible à la poésie de la lumière et
surtout à la question qu'elle nous pose sans cesse :
"Quel est le mystère qui se cache derrière cette
lumière ?" Les vitraux
et la lumière qui les traverse
sont un réel prodige et cela exerce sur moi une profonde
fascination. Est-ce que les gens d'aujourd'hui savent
encore regarder cette lumière , se laissent-ils encore
prendre par sa poésie ? Admire-t-on encore les vitraux
de nos anciennes cathédrales ? Prenons -nous encore le
temps de la contemplation ou sommes nous devenus des
machines à compter les sous ?
La couleur de la musique
Que faites-vous aujourd'hui ?
Aujourd'hui, ma recherche va toujours dans ce sens :
traduire la lumière. Je termine un gros travail de
verrerie qui va donner des couleurs à la musique. Avec
le Val St Lambert, j'ai créé un instrument de musique
tout en verre. Quand la musique s'élève, on voit apparaître
les couleurs des notes. Imaginez un sol rouge, un fa vert,
un do jaune ou d'autres couleurs qui naissent au bout des
notes comme des traits de lumière... La harpe est en
verre . Il y a un dôme en verre sur lequel on projette
des couleurs, il y a une superbe acoustique et une boule
de cristal comme un immense kaléidoscope, pour se voir,
se démultiplier. C'est magique et céleste ..
Le hasard et la nécessité
Depuis quand écrivez-vous
?
Écrire n'est pas
une vocation. Mon premier métier est d'être un artisan
du vitrail, un maître - verrier. Je suis venu à la littérature
petit à petit. Quelques écrits sans prétention à l'âge
de 18 ans, la tentation du théâtre pendant la vie
estudiantine, la première chanson et puis la nécessité
tout à coup de trouver des ressources financières pour
la construction du théâtre de Martinrou qui avait
englouti toute ma fortune et même celle que je n'avais
pas. L'écriture d'un livre qui raconterait l'histoire d'un
homme et de sa passion pour l'art du
vitrail s'est imposée
tout doucement comme une évidence, comme un flambeau à
transmettre et comme un risque à prendre : écrire était
un saut dans le vide comme à chaque fois que j'ai tenté
d'exprimer d'une autre manière l'espoir et la désespérance
de la vie.
Tous des menteurs ...
Qu'est-ce qui est vrai dans le livre ?
Le romancier est un noble menteur. La part de l'imaginaire
est très importante. Il y a des personnages de roman qui
sont plus vrais que des êtres réels, et souvent nous
nous faisons des idées à propos de ceux que nous
cotoyons, nous les "imaginons"...
Homme de tendresse et de vérité
Dans le Passeur de Lumière, de quels
personnages vous sentez-vous proche ?
Composer des personnages, s'est y mettre un peu de soi,
un peu de ses rêves , de ses détresses et de ses
tendresses : se retrouver partout sans y être nulle part.
Dans le Passeur de Lumière, il y a la sérénité de
Rosal, homme de long projet . Je me sens proche de lui
parce que c'est un homme de la pierre , un homme un peu
maladroit. Il y a la révolte de Nivard, homme cassé par
la vie, intense et brûlant de passion. Il y a de beaux
portraits de femmes : celle qui est fluide comme l'eau, l'autre,
ardente comme le feu, et celle-là, légère comme l'air
et enfin, celle qui est solide comme la terre . Elles
représentent les quatre éléments.
Il faut aussi écrire pour dire vrai, mettre en scène de
vrais amis et de vrais ennemis, des gens qui ne se jouent
pas la comédie de l'amitié mais qui défendent leurs idées
avec énergie et authenticité. On peut penser autrement
mais il ne faut pas se cacher sous de faux-semblant
Des passagers
clandestins
Certains passages de votre livre sont-ils tirés
de votre propre vie ?
De la vie qui meurt à l'éternité du roman, il n'y a
parfois qu'un pas. Des personnages réels qui ont traversé
ma vie se retrouvent soudain transmués en personnages de
roman par l'un ou l'autre des aspects de leur caractère
ou de leur comportement : ce sera le forgeron suisse qui
avait la sérénité de la connaissance du métier, la
puissance du geste et la précision de l'outil ou encore
cet homme qui travaillait avec moi à la structure
architecturale des verrières - il avait de si grandes
mains que je l'appelais "la patoche" - et qui
peu de temps avant de mourir avait apporté très
simplement des galettes a mes enfants ou encore cet autre
qui venait du Quebec et qui donna son nom de Lorette à
un personnage du roman. Ces hommes - et d'autres - se
retrouvent dans le roman. Ce sont les passagers
clandestins, ceux qu'on attendait pas et qui s'impose
soudain comme une évidence à l'imaginaire de l'écrivain
qui est en moi. Ici et là, il y a aussi quelques réminiscences
de ma propre vie, comme un épisode où j'avais 20 ans -
mais l'art de l'écrivain transcende tout cela et
franchit la fine ligne de démarcation où la vie bascule
du côte de l'art
Et la violence, hélas...
Pourquoi tant de violence dans votre
livre ?
La violence traverse le roman comme le sabre qui coupe le
pied de Nivard ou la mort qui emporte les êtres aimés
et attend le passeur de lumière au pied même de son vitrail le plus achevé. Cette
violence nous afflige, parfois même elle nous détruit
mais il faut apprendre à la regarder en face car elle
est au coeur de notre monde et peut survenir à tout
instant briser nos vies, comme la guerre, l'accident ou
la maladie. Pour la contraindre et la museler, l'homme n'a
que la révolte ou l'amour, mais cela est l'oeuvre de
toute une vie
Du XIe au XIXe siècle
Pourquoi l'action du Passeur de lumière se
passe-t-elle au Moyen âge ?
L'histoire du passeur de Lumière ne pouvait se décrire
qu'au Moyen âge, car c'est alors que l'art du vitrail
atteint son apogée dans l'architecture renouvelée du
gothique naissant. Mais une autre histoire serait
possible : celle qui dirait la mort du vitrail au XIXe siècle
, époque où les hommes se dépossèdent de cet art d'autrefois
et n'hésitent pas à vendre des verrières aux États
Unis friands d'art européen et désireux d'importer sur
le nouveau continent des traces de leurs racines.
Théâtre ou cinéma ?
Avez-vous pensé transposer votre roman en
version théâtrale ?
Le Passeur de Lumière a fait l'objet d'une mise en scène
théâtrale à Chartres par un
passionné du théâtre de rue mais le cinéma ne s'est
pas encore emparé de cette fabuleuse histoire . Ce n'est
pas faute d'avoir essayé mais la transposition cinématographique
est difficile. Écrire un synopsis à partir du roman est
un défi : raconter avec des images demande un énorme
travail d'adaptation car le cinéma impose ses images
tandis que le roman laisse à chacun le soin d'imaginer
le personnage . De plus l'adaptation cinématographique
coûterait sans doute fort cher.
Écrire est aussi un
travail ...
De quelle manière écrivez-vous ?
Mon écriture se déroule en trois temps :
Je pense oralement sans prendre de note, la ligne
principale du roman Ensuite j'écris le tout à la plume
et à l'encre, cela me prend environ 40 jours mais à ce
moment là, ce n'est encore qu'un brouillon. Un mois se
passe et je réécris alors la totalité du récit au
propre avant de remettre le livre terminé à l'éditeur
(cela prend de 6 à 7 mois).
... qui ne nourrit pas son
homme !
Pouvez-vous vivre de vos romans ?
Vivre de l'édition de mes romans est une aventure
nouvelle à chaque fois. Il y a de bonnes et de mauvaises
années. Heureusement, j'ai plusieurs cordes à mon arc .
Non seulement je suis écrivain, mais je suis aussi
chanteur, comédien, metteur en scène - je dirige mon
propre théâtre - et surtout , je suis maître verrier, ma première
passion. Ces facettes de ma personnalités se complètent
et s'enrichissent mutuellement, rarement elles entrent en
conflit.
Encore et toujours des
projets
Quels sont vos projets ?
Un prochain livre qui racontera ..., mais
chut, bientôt , vous le lirez !
Aujourd'hui, nous savons puisqu'il s'agit du roman
intitulé Aubertin d'Avalon
Merci Bernard Tirtiaux de nous avoir livré quelques
secrets de votre art et de nous avoir permis de mieux
comprendre toute la richesse et la générosité de votre
personnalité créatrice. La lumière que vous vous
efforcez de saisir à travers la transparence de vos
vitraux passe aussi à travers vous et se dépose au fond
de nous par la profonde vibration de votre voix grave et
tranquille, une voix qui sait , qui rassure et qui semble
connaître et transmettre un peu du mystère des dieux.
Cette interview a été réalisée
au Collège d'Alzon, le 19 mai 2001, par les élèves de
4e du Collège d'Alzon
et des élèves du Collège Jules Lagneau de Metz, en
France, dans le cadre du projet Coménius "Vitrail
et vieilles pierres".
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